Si j’ai bien compris, c’est curieux de tant différencier le travail et l’assistanat car le travail, le plus souvent, est l’assistanat du patron (ou des actionnaires). En revanche, déléguer est le plus souvent l’apanage du patron alors que pas mal de travailleurs ne cracheraient pas dessus, dans leur grande générosité et solidarité – c’est une manière de partager le travail qui fait l’affaire. «Là, je dois y aller, alors à toi.» Ou, chez les enfants : «Tu as fait tes devoirs, mon chéri ? – Non, j’ai délégué.»
Dans un monde idéal (pour certaines ou certains), même le devoir conjugal pourrait être délégué : «Lundi, c’est Ravioli.» Mais c’est un peu fort de fort de faire passer les prétendus assistés pour des planqués, des resquilleurs qui viennent manger le pain des crétins ramant au front trente-cinq heures par semaine jusqu’à on ne sait plus quel âge. Et voilà qu’il est question de travailler plus pour travailler plus et accéder à l’eldorado de la retraite à taux plein. Mais déjà le taux est plein, on en a plein le taux, maintenant qu’on a mangé la brioche jusqu’à la dernière miette et que la bise se pointe avec son cortège de fourmis irritantes qui regardent du coin de l’œil la retraite à 107 ans comme une perspective somme toute accessible, si le gouvernement a bien consulté.
Pendant les confinements, on a beaucoup parlé de ceux qui étaient au charbon, dans le cambouis jusqu’au cou – en première ligne. Sont moins évoqués ceux qui sont en dixième ligne, en cinquantième ligne (on ne sait pas où ça s’arrête), ceux qui ont un rapport proche avec l’argent mais éloigné avec le travail. Etre assisté, ce serait une honte, mais être rentier, c’est une chance. Si les chômeurs devaient répondre à tout ce qu’ils se prennent sur la gueule, ils ne chômeraient pas.
La durée n’est pas tout, la question est plutôt : «Comment donner sens et réjouissance au travail ?» Dans l’idéal, on aurait le droit d’aller au turbin en maillot de bain (pour pouvoir profiter de la piscine, du solarium et des massages pendant les pauses). On aurait en arrivant la bonne blague du patron qui viendrait vous embrasser en vous offrant un croissant et un chocolat chaud. Ce serait tellement la belle vie qu’on ferait la grève du week-end sans mettre l’entreprise en péril puisque les heures supplémentaires ne seraient pas payées. Ce serait l’anti-télétravail : on aurait le droit de dormir sur place et on pourrait faire des fêtes avec les collègues, en plus des deux siestes quotidiennes (éventuellement crapuleuses) encouragées par l’encadrement. Les petits malins auraient trois-quatre boulots, et les syndicats, toujours jusqu’au-boutistes, exigeraient des gâteaux, du pâté, du nectar, de l’ambroisie et de la guimauve. Les relations amoureuses entre collègues seraient récompensées avec l’élection du couple du mois.
Les policiers joueraient à chat avec les manifestants. Le personnel surnuméraire des hôpitaux vous ferait la causette en même temps que manucure et pédicure, tandis que le chef cuisinier viendrait discuter des menus. «Alors, qu’est-ce qui vous ferait plaisir aujourd’hui ? On a un turbot magnifique. Mais si monsieur préfère le gibier!» Quant aux pauvres gens contraints de partir à la retraite avant d’être vraiment HS, ils auraient toujours le bénévolat pour ne pas déprimer. Et, si j’ai bien compris, le bonheur des uns faisant le bonheur des autres, les usagers et les clients seraient accueillis comme des amis, comme la famille, dans toutes les administrations, tous les cafés, tous les taxis.
👉 Une prise de recul par rapport au travail aussi appelée “quiet quitting” (démission silencieuse en français). Le phénomène n’est pas nouveau mais a été popularisé sur les réseaux sociaux par les jeunes générations. “Aujourd’hui, le travail peut facilement contaminer la vie personnelle avec les emails sur le téléphone, le travail à distance… explique la psychologue du travail Diane RAKOTONANAHARY. Cela peut engendrer beaucoup de souffrance”.
👉 Pour beaucoup, la priorité est donc de remettre des frontières entre vie professionnelle et personnelle. Un mouvement que de nombreux spécialistes des ressources humaines soutiennent. “Ne pas répondre à ses mails le week-end n'a rien d'une démarche démissionnaire!”, s’étonne ainsi la recruteuse Céline JAUNEAU. Les moins de 30 ans veulent “pouvoir avoir une vie à côté, dans des domaines avec des valeurs et du sens auxquels ils croient”, ajoute Loïc DOUYERE, directeur associé de l’institut RH Florian Mantione.
👉 La crise climatique et énergétique expliquerait aussi cette évolution. Quatre salariés sur dix disent ressentir un décalage entre leurs convictions personnelles et leur quotidien en entreprise, selon le dernier baromètre Imagreen/Kantar. 75% d’entre eux seraient ainsi “désengagés”. “L’accumulation d’événements d’une ampleur inédite (...) provoque une prise conscience et transforme en grande profondeur la relation du travail aux individus”, analyse le DRH Dominique DIETRICH.
👉 Certaines entreprises se sont emparées du sujet. “Cloisonner vie pro et vie perso n'est pas la meilleure réponse, détaille ainsi Cécile Staehle, en charge des ressources humaines chez Troopers Web Republic. Nous avons plutôt pensé notre culture d'entreprise pour qu'elle permette autant que possible de concilier ces deux parties de notre vie”. Actions en faveur de la parentalité, autogestion, transparence, management à l’écoute… Autant de remèdes pour maintenir ses salariés motivés.
*Les prénoms ont été changés.