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13 décembre 2024 5 13 /12 /décembre /2024 11:54
 

Le site Alternatives économiques est cash: «Les contribuables français déboursent plus de 60 milliards d’euros par an pour un système agricole et alimentaire socialement et écologiquement destructeur». D’abord 48,4 milliards d’euros de subventions –dont seulement un tiers pour l’agriculture et 8% pour le bio !– pour des entreprises qui misent «sur la fourniture d’une matière première agricole standardisée, produite au plus bas prix possible à coups de chimie, de dégradation de la biodiversité, de souffrance animale. Et de souffrance des hommes au travail et de bas revenus». Miam! Conséquence? Il faut ajouter 19,1 milliards d’argent public pour contrer les «impacts négatifs de ce modèle»: pathologies liées au surpoids et à l’obésité, conditions de travail, compensation des faibles revenus, dépenses environnementales. Et bon appétit bien sûr !

L.L.C.

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7 mai 2024 2 07 /05 /mai /2024 09:15


Rappel utile du président du Conseil Constitutionnel : la « préférence nationale », sur laquelle repose le programme du RN, est anticonstitutionnelle. Pour l’imposer, il faudrait sortir des principes de la République.
Entretien de Laurent Fabius dans Le Monde, clarissime comme toujours. Principale information : la « préférence nationale », appliquée systématiquement, comme le proposent le RN et Reconquête, est anticonstitutionnelle. Information décisive : il apparaît donc, à la lumière des propos du président du Conseil constitutionnel, que les deux partis d’extrême-droite, qui ont fait de ce principe la pierre angulaire de leur programme, ne pourront pas l’appliquer, sauf à violer la loi suprême. Voilà qui en dit long sur leur crédibilité… 
Bien sûr, le RN peut envisager de changer la constitution par référendum. Mais Laurent Fabius donne une seconde précision : élue présidente, Marine Le Pen ne pourrait pas user, pour ce faire, du vote direct prévu à l’article 11 de la loi fondamentale, qui ne comprend pas ce sujet dans son champ d’application. Elle devrait passer par l’article 89, qui subordonne la consultation à l’accord préalable des deux chambres sur un même texte, chose très difficile à obtenir, à moins de disposer d’une majorité au Sénat et à l’Assemblée nationale, ce qui est fort peu probable.
Principe constitutionnel
On dira peut-être qu’il s’agit là d’arguties juridiques, dont la souveraineté populaire ne doit pas s’embarrasser. Or le principe constitutionnel qui exclut la « préférence nationale » a une origine bien précise, que Fabius rappelle : « La protection sociale ne s’applique pas seulement aux personnes de nationalité française, mais à toutes les personnes résidant régulièrement en France ». Ce qui découle d’un raisonnement simple : toutes les personnes résidant en France légalement paient des impôts, même celles qui ne sont pas assujetties à l’impôt sur le revenu, puisqu’elles acquittent, en tout cas, la taxe sur la valeur ajoutée (la TVA, principale ressource de l’État). Ayant les mêmes devoirs fiscaux, il est logique qu’elles aient les mêmes droits à prestation, qu’elles soient françaises ou étrangères. En instaurant une règle contraire, le RN se livrerait à une discrimination contraire aux principes de la République.
Cette réalité est bien connue des dirigeants d’extrême-droite (et de droite). C’est la raison pour laquelle ils ne cessent de faire campagne contre « le pouvoir des juges » et les prérogatives « d’instances non-élues » comme le Conseil constitutionnel. Campagne qui révèle une méconnaissance volontaire de la nature des démocraties. Celles-ci, en effet, ne reposent pas seulement sur le suffrage, mais aussi sur des principes fondamentaux de liberté et d’égalité consignés dans des textes solennels – comme la Constitution ou bien son préambule – fixés par un vote initial (celui des deux chambres réunies à Versailles, ou bien celui du peuple lors d’un référendum prévu par l’article 89). Mépriser ces principes et ces instances, ou bien les contourner, c’est instaurer une démocratie atrophiée, qui laisse les libertés fondamentales à la merci d’un vote d’occasion. Ce que résume Fabius : « C’est souvent parce que le Conseil constitutionnel est un rempart de nos droits et de nos libertés qu’il est pris pour cible ». On ne saurait mieux dire.  
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12 avril 2024 5 12 /04 /avril /2024 12:33
RATIONNER INTERNET ?

Une ancienne ministre de l’Éducation propose de réguler sévèrement l’usage des réseaux. Deux événements récents montrent qu’elle a mis le doigt sur un vrai problème.
Et si elle avait raison, Najat Vallaud-Belkacem ? Dans une tribune du Figaro, elle a le toupet – ou le courage – de proposer que les pouvoirs publics rationnent l’usage des écrans. Un quota de quelques gigas par personne. Rationnement ? Horresco referens ! Pas étonnant, dira-t-on, qu’une socialiste propose d’imposer la pénurie.
Pourtant qui peut encore nier les effets désastreux de l’usage addictif, immodéré, inconsidéré, des réseaux sociaux, sans compter leur dangereux bilan carbone ? Deux jours après cette tribune iconoclaste, le Centre national du livre publie sa traditionnelle étude IPSOS sur la pratique de la lecture chez les jeunes. Constat sans appel : c’est un effondrement. Les jeunes Français, tous milieux sociaux confondus, et sans qu’une différence de classe apparaisse clairement entre les usagers, passent plus de 5 heures par jour à regarder un écran et 1 heure 25 à lire… par semaine. On s’étonne ensuite que le niveau scolaire diminue et que la vente de livres soit menacée, sans parler de l’étrange et nouvelle sociabilité de la jeunesse, qui consiste à s’enfermer la moitié du temps dans la contemplation d’un smartphone. Quand on ne lit plus, on n’apprend plus. On est à la merci des émotions immédiates et des fake news répandues par les ennemis de la liberté.
Au même moment, plusieurs agressions violentes ont eu lieu aux abords d’établissement scolaires des quartiers défavorisés. Elles ont au moins un point commun : à chaque fois, les messages de haine, les invectives claniques ou religieuses, les insultes racistes, les appels au lynchage collectif, sont passés par le complaisant truchement des réseaux sociaux, sans que quiconque ne songe à mettre en cause la responsabilité des multinationales qui ont véhiculé ces appels au meurtre et qui en font argent gras. Celles-ci se retranchent derrière leur statut de simple intermédiaire, alors même qu’elles interviennent sans cesse sur les contenus qu’elles diffusent, ne serait-ce que pour améliorer leurs rendements publicitaires.
On le sait, la technologie est comme la langue d’Ésope, la meilleure et la pire des choses. Mais au nom de la première, on s’abstient de limiter la seconde. Le rationnement est un moyen, la mise en cause des patrons multimilliardaires des réseaux en est une autre. Ceux-ci ont acquis une puissance financière et de lobbying qui en fait les égaux dangereux des États souverains. Mus par le seul appât du gain, n’ayant pas de mandat populaire, tels de nouveaux féodaux défiant les États, ils n’ont aucune légitimité à influer ainsi sur le devenir de nos sociétés. En ébranlant les fondements de la culture civique, en facilitant la tâche des fauteurs de haine, ils minent la vie des démocraties. Il serait temps que les gouvernements élus s’en rendent compte.
 
Laurent Joffrin
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12 avril 2024 5 12 /04 /avril /2024 12:32
LE MAIRE : LE JUDAS DE BERCY

Le ministre des Finances dénonce le laxisme budgétaire qu’il a lui-même organisé depuis sept ans à Bercy. Un retournement de veste qui annonce une candidature à l’Élysée, au grand dam des macroniens.
Étonnant phénomène, qui défie les lois de la physique autant que de la politique : plus de déficit du pays se creuse, plus la tête du ministre des Finances enfle. L’homme de Bercy, désormais, ne fait plus mystère de devenir un jour celui de l’Élysée, candidat à peine officieux au fauteuil d’Emmanuel Macron. Il est vrai qu’il a trouvé un rôle à la mesure de son ambition, celui du Père-la-rigueur, auto-proclamé sauveur d’un pays miné par la dette et les impasses budgétaires. Il n’a plus de mots assez durs, désormais, pour stigmatiser le laxisme de son prédécesseur, coupable d’abord laissé le déficit filer dans les abysses, avec un montant qui dépasse les 5% du PIB. Avec cette légère contradiction, qu’il considère d’un regard serein : son prédécesseur, c’est lui.
Si l’on en croit Le Figaro, le président le lui a fait remarquer le 20 mars dernier, après l’avoir écouté prêcher pour une réduction drastique des dépenses : « Bruno, ça fait quand même sept ans que tu es là ». Le sapeur Camember, selon ce classique de la BD satirique, creusait des trous pour en boucher d’autres. Le Maire marche dans les pas de ce célèbre troufion, avec une variante temporelle : il opère sur le même trou, qu’il creuse d’abord pour se donner ensuite le mérite de le reboucher.
Observant ce subterfuge quelque peu voyant, les macroniens le soupçonnent de préparer sa sortie du gouvernement pour se lancer ensuite dans la course élyséenne, fort de sa nouvelle réputation de redresseur putatif des comptes publics, séduisant ainsi un électorat conservateur qui lui fournirait sa base politique. On murmure même qu’il a déjà fait élargir les portes de son ministère pour que sa tête soudain dilatée puisse les franchir sans encombre au jour de son départ.
Il a de qui tenir : c’est souvent la double posture adoptée par la droite française, qui accroît les déficits quand elle est au pouvoir mais fustige le laxisme budgétaire dès qu’elle passe dans l’opposition. On le vérifie en jetant un œil sur l’historique des finances publiques depuis vingt ans. On s’aperçoit alors que Sarkozy et Macron sont les principaux responsables du dérapage budgétaire du pays, qu’Hollande a péniblement ramené au-dessous des 3% exigés par les traités européens, en y perdant au passage sa popularité. Ce qui n’empêche pas la droite de dénoncer mécaniquement l’impéritie gestionnaire de la gauche.
Déjà mal en point sur toutes sortes de dossiers, à la traîne dans les sondages pour le prochain scrutin européen, les macronistes sont maintenant menacés d’un schisme qui verrait le ministre des Finances démissionner pour se changer en candidat à la succession d’Emmanuel Macron. Pour bien marquer sa différence, il se ferait alors le procureur de la politique qu’il a menée à son poste depuis 2017. On peut comprendre l’agacement du président, qui avait convaincu Le Maire de trahir la droite pour le rejoindre, et qui voit son ministre faire le chemin inverse, trahissant la macronie pour rejoindre la droite. Ce n’est plus la tactique du sapeur Camember, mais celle d’un Judas à répétition.
 
Laurent Joffrin
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24 février 2024 6 24 /02 /février /2024 02:49
 
Le député européen entame plutôt bien sa campagne : bons sondages, premier meeting réussi, présence médiatique. Enfin un peu d’air à gauche…
C’est un de ces « signaux faibles » qui peut avoir une forte signification. Pour son premier meeting de campagne à Bordeaux, Raphaël Glucksmann avait prévu trop juste. Quelque cinq cents personnes n’ont pas pu entrer, en raison d’une jauge dépassée. Erreur d’organisation sans doute, mais aussi indice intéressant : le candidat intéresse plus qu’il ne l’avait prévu lui-même…Il annonce fièrement son succès sur les réseaux, peut-être un peu présomptueux : le succès reste à confirmer. Mais imaginons…
Imaginons que le raisonnement que nous tenons ici depuis le début soit juste : il y a un espace politique béant entre Mélenchon et Macron, que le PS englué dans la NUPES n’a pas réussi à occuper. Toute une gauche fatiguée des foucades mélenchonistes, en quête d’avenir, attachée à la République, aux Lumières, à une écologie du réel, radicale certes, mais aussi populaire et lucide, attend une force rénovée qui puisse exprimer ses aspirations. Déjà les sondages, unanimes, placent Glucksmann légèrement en tête de la gauche.
Imaginons, donc, que le député européen fasse une bonne campagne, que l’hirondelle de Bordeaux se change en un printemps pour l’autre gauche, celle qui croit à une politique fondée sur la raison et non sur l’agression, sur la bienveillance et non sur l’outrance. On l’a déjà écrit : dans cette hypothèse, Glucksmann devient la surprise de la campagne et tout change.
Les réformistes retrouvent leur place naturelle, la première, négociant un nouveau programme, socialiste, écologiste et non populiste. Les électeurs égarés chez Macron ou à LFI, faute de mieux, regagnent peu à peu la vieille maison refaite à neuf et se prennent soudain à espérer de nouveau la victoire, après dix ans de macronisme vertical et droitier.
Cessons de rêver : il ne s’agit que d’une élection européenne et il est bien tôt pour compter sur un succès, sauf à bâtir des châteaux à Bruxelles. Et quand bien même le succès adviendrait-il, qu’une longue route hérissée de dangers resterait à parcourir pouf cette autre gauche. Mais enfin, ce serait une étape, un palier, le premier étage d’une fusée qu’on disait incapable de décoller.
La concurrence, déjà s’inquiète, à LFI ou chez les Verts. Les premiers crient à la trahison réformiste, comme d’hab. Les seconds somment les électeurs de choisir entre « la transformation écologiste » et « la nostalgie sociale-démocrate ». Curieuse expression : en français, la nostalgie désigne le souvenir mélancolique d’un passé heureux. C’est un presqu’un aveu : aux dires mêmes de Marie Toussaint, tête de liste verte, la social-démocratie laisserait donc un bon souvenir ? Il lui resterait, dans cette hypothèse, à passer du souvenir à l’avenir.
 
Laurent Joffrin
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24 février 2024 6 24 /02 /février /2024 02:46
Mélinée et Missak Manouchian au Panthéon… Au cœur d’une nation pessimiste et divisée, un court mais rassurant moment d’espoir, qui incarne la véritable identité française, loin des mensonges de l’extrême-droite.
Un moment de ferveur dans ce pays traversé par le doute, une éphémère mais émouvante communion autour de nos valeurs, malgré la discorde environnante… Autour de qui ? D’un immigré et de son épouse, sans papiers, d’un communiste désigné comme terroriste par l’occupant et par Vichy, d’un combattant poète, avec 23 de ses compagnons résistants, dont Aragon avait écrit l’oraison et qu’il faut encore citer :
« Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles (…)
Nul ne semblait vous voir Français de préférence (…)
Mais à l’heure du couvre-feu, des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE »
C’est ainsi qu’il faut comprendre la cérémonie d’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian, si l’on garde, un tant soit peu, au fond de soi, confiance dans cette République malmenée. Un pays qui convoque ses meilleurs symboles, ses plus hautes autorités, pour célébrer ces étrangers, ces parias venus de pays lointains, vilipendés et traqués par l’État français, ne peut pas être entièrement mauvais. Et cette république fatiguée par les crises et les divisions, en dépit des tentation nationalistes qui égarent un tiers des électeurs, possède des valeurs qui parlent encore au cœur des Français.
Quoique théâtral comme toujours, le discours d’Emmanuel Macron fut juste et émouvant, installant dans la mémoire nationale ces combattants jusque-là mal connus, sinon au sein de la gauche, et surtout de l’extrême-gauche. Juste et bienfaisante régularisation pour ce clandestin… Manouchian était communiste, cela explique peut-être le retard de cette reconnaissance : la mémoire historique rappelait que le comportement héroïque du PCF dans la Résistance, comme celui de l’Armée rouge qui a brisé la Wehrmacht, suivait une période sans gloire où, sur ordre de Staline, de 1939 à 1941, l’appareil du parti ménageait les troupes allemandes en raison du pacte germano-soviétique.
Mais précisément, l’injustice demeurait. Comme un certain nombre de communistes, Manouchian s’était affranchi des mots d’ordre de Moscou pour commencer le combat antinazi bien avant l’attaque de la Wehrmacht contre l’URSS. Survivant du premier génocide du siècle, contre les Arméniens, il avait compris qu’un autre était à l’œuvre, contre ses amis juifs. Et surtout, s’il est « mort pour la France » après avoir demandé deux fois, en vain, la nationalité française, c’est qu’il croyait dur comme fer en cette nation « patrie des Droits de l’Homme » dont certains affectent de se moquer ou de n’en parler que pour ses fautes, celle des soldats de l’An II, celle d’Hugo, de Zola, de Jaurès et, au temps de la Résistance, du Général de Gaulle.
Manouchian était internationaliste et patriote, chose que les nationalistes d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, ne comprennent pas. Pour lui la France n’était pas seulement une terre, une culture, un héritage, lui, l’exilé qui avait passé son enfance au loin. C’était une idée. Une idée inscrite à ses frontons, qui lui donne encore rayonnement et prestige dans ce monde menacé par les empires revenus. Comme hier autour du Panthéon, cette idée réunit encore les Français et les fait vibrer. N’en déplaise à Éric Zemmour et à Marine Le Pen, la liberté, les sacrifices qu’elle suscite, les combats qu’elle justifie, la flamme qu’elle fait toujours briller a fait, comme l’a montré Manouchian, l’identité française.
 
Laurent Joffrin

L'affiche rouge. Aragon- Ferre

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24 février 2024 6 24 /02 /février /2024 02:45
La mise en cause par les femmes de personnages jusque-là célébrés par les milieux progressistes jette une lumière nouvelle sur l’émancipation sexuelle des années 1970.
Il y a un point commun qu’on n’ose guère aborder entre les personnages du cinéma ou des médias récemment mis en cause pour leur comportement envers les femmes. Gérard Miller, l’hypnotiseur du divan, Jacques Doillon, Benoît Jacquot et, auparavant, Jean-Claude Brisseau, désormais dépeints en Pygmalion dominateurs et libidineux, et même Gérard Depardieu, passé du statut de génie gargantuesque à celui de prédateur rabelaisien, ont tous pris leur essor, atteint la célébrité, gagné leurs galons de stars des spotlights, dans le sillage de la libération sexuelle des années 1970. Tous ont été fêtés, célébrés, vénérés parfois, par les milieux culturels progressistes, les médias de gauche, les cercles post-soixante-huitards de la critique et du public averti pour leur mépris des conventions et leur liberté de ton, qui cachaient manifestement de plus sombres pratiques.
Rien de perfide ni de réactionnaire dans la remarque, encore moins de nostalgique sur le thème du « c’était mieux avant ». On ne risque pas de soupirer sur cette époque « d’avant » où une prude censure sévissait, où l’IVG était proscrit par la loi, où le sexe était un péché, où l’inexistence de la contraception faisait vivre les femmes dans la hantise de la grossesse indésirée, où le viol n’était pas vraiment criminalisé, où les féminicides s’appelaient « crimes passionnels ». Nul énième procès non plus contre les baby-boomers ou contre les rejetons de Mai 68, qui ont eu le mérite de favoriser, en même temps que l’émancipation sexuelle, les luttes féministes del’époque, les revendications des homosexuels ou de faire éclore, au cinéma notamment, toutes sortes de formes nouvelles, de thèmes jusque-là occultés, de sensibilités neuves, dont ceux qui sont aujourd’hui accusés, on le reconnaîtra, figurent parmi les talentueux promoteurs.
Mais un simple constat : la nécessaire et positive libération sexuelle de ces années-là fut une libération inégale. Les hommes en furent les grands bénéficiaires, les femmes, nettement moins. En faisant tomber les barrières de l’ancienne morale, brisé les tabous désuets, cassé les codes archaïques hérités des interdits religieux, la « révolution sexuelle » a aussi libéré certains prédateurs, facilité la prolifération des « dragueurs lourds » qui sont surtout des agresseurs sexuels et, surtout, prorogé à frais nouveaux l’antique domination masculine. Une révolution incomplète, en quelque sorte, ou bien, comme on dit aujourd’hui, une révolution « genrée », où le désir des hommes a été libéré sans que celui des femmes soit vraiment pris en compte ou, plus grave, que leur non-désir soit respecté.
Ainsi les vagues successives de la révolte #MeToo, qui frappent aujourd’hui des symboles de la « culture 68 », n’ont pas grand-chose à voir avec un retour en arrière, avec un « backlash » répressif qui viendrait mettre en cause les acquis de « sexy sixties ». Avec quelques décennies de retard, elles corrigent le déséquilibre initial de la libération sexuelle, ce qui est un progrès supplémentaire. À une liberté nouvelle, favorable aux hommes, les femmes ajoutent une égalité nouvelle. Il était temps.
 
Laurent Joffrin
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24 février 2024 6 24 /02 /février /2024 02:43
 
Le « Lab de la social-démocratie » publie le résultat de ses travaux, sous la forme d’un livre programmatique, Le Pouvoir d’Agir. Loin des invectives et des punchlines, un peu de réflexion de fond.
On dit que la gauche réformiste n’a plus d’idées, que la social-démocratie a épuisé son projet, que le socialisme est une idée du 20ème siècle et ses partisans des témoins d’un temps révolu. Ceux qui croient à ces sornettes doivent se reporter au programme que le Lab de la social-démocratie, association de la gauche du réel, vient de publier sous la forme d’un petit livre intitulé Le Pouvoir d’Agir (1). Ils y trouveront, non des tweets expéditifs, des punchlines de plateau, ou des éructations populistes, mais, sous la plume de Patrick Vieu, expert et intellectuel qui s’est appuyé sur une ribambelle de groupes de travail, une réflexion exigeante, renouvelée qui donne sur les défis de notre siècle des réponses élaborées et constructives.
Idée principale : la social-démocratie doit transformer son logiciel. Par le passé, en répartissant mieux les fruits de la croissance, en développant l’État-providence, en étendant les droits des travailleurs, en poussant à une Europe unie, elle a fait accomplir à l’humanité des progrès considérables. Mais aujourd’hui le productivisme est obsolète, la planète est menacée par une croissance qui dérègle le climat, épuise les ressources et obère l’avenir des générations futures ; l’État-providence peine à humaniser une société fracturée et individualisée, les fractures sociales se creusent sous l’effet d’une économie du laissez-faire, la démocratie déçoit une grande partie des classes populaires.
Il faut donc repenser le rapport de l’économie et de la nature, maîtriser le progrès scientifique et technique, reprendre le contrôle d’un capitalisme financier que le moment libéral a livré à lui-même et démocratiser une Vème République aux structures monarchiques. Tel est l’objectif de ce travail collectif qui aborde de front toutes les questions, y compris celles qui embarrassent si souvent la gauche, comme l’immigration ou la montée des conflits guerriers, et qui ouvre à la gauche de la raison et de l’action des perspectives nouvelles.
LeJournal.info publiera en exclusivité, tout au long de la semaine, les éléments essentiels de ce texte qui vise à animer le débat à gauche, au-delà des simples considérations de personnes ou de stratégie. Loin de la gauche des invectives, voici la gauche des idées…
(1) Le Pouvoir d’Agir – VA Éditions.
 
Laurent Joffrin
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24 février 2024 6 24 /02 /février /2024 02:41
 
On peut légitimement moquer les recettes passéistes proposées par Emmanuel Macron pour réhabiliter l’école républicaine. À condition de prendre en compte la demande de tranquillité qui émane de nombreuses familles, souvent les plus modestes.
Uniforme au collège, instruction civique renforcée, Marseillaise pour les enfants, service civique généralisé… Le « réarmement » prôné par Emmanuel Macron fleure bon l’instruction à l’ancienne et les images sépia d’un mythique âge d’or de l’école républicaine. Il n’y manque que l’odeur de la craie, les plumes sergent-major et les coups de règle sur les doigts.
Du coup, la gauche fustige ce rappel à l’ordre, cette nostalgie patriotique, ce passage du « en même temps » au temps passé, manifestement destiné à un électorat de droite qui pense que tout en France « était mieux avant ». Fort bien. Il y a effectivement quelque chose d’un peu ridicule dans cet éloge d’une époque révolue où la discipline scolaire visait à formater de bons Français obéissants, où l’école triait sans états d’âme les élèves dès la fin du primaire, aiguillant les enfants des classes cultivées vers le lycée, les autres vers l’enseignement court qui menait aux champs ou à l’usine.
Mais, à bien y réfléchir, n’y a-t-il pas là, aussi bien, un piège, dissimulé par ce plan passéiste propre à susciter un réflexe pavlovien ? En moquant cette apologie de l’ordre et des règles, l’ancienne gauche risque d’oublier l’angoisse de nombreuses familles, dans les quartiers populaires, notamment, qui voient des points de deal s’établir à proximité des collèges, la violence pénétrer dans ces sanctuaires dédiés au savoir, les professeurs découragés par un métier de plus en plus difficile face à un public rétif, les écrans capter l’attention des enfants au détriment de l’apprentissage, le recrutement des enseignants se tarir en raison d’un statut professoral dévalué et dénigré.
Le piège, au vrai, saute aux yeux : en se récriant devant l’apologie de l’ordre, la gauche se résignerait-elle au désordre ? Proposerait-elle, au fond, de ne rien faire devant les difficultés qui assaillent tant de collèges et de lycées, bousculés par un environnement social dégradé, au fonctionnement émaillé d’incivilités quotidiennes, affectés d’une baisse de niveau attestée par toutes les études internationales et qui incite de nombreuses familles, qui ne sont pas toutes bourgeoises, à préférer l’enseignement privé ?
Pour tout républicain, la défense de l’école publique est un impératif catégorique. Mais pour qu’elle remplisse sa mission, il faut aussi que cette école assure aux élèves une vie tranquille, un respect des règles et des enseignants, des classes paisibles et une laïcité rigoureuse. Les remèdes macroniens, symboliques pour l’essentiel, jouent sur le souvenir enjolivé d’une école d’Épinal. Certes. Mais, en dehors de la juste revendication d’un meilleur salaire et de l’éternelle demande de moyens accrus, quelles sont les solutions de gauche propres à réhabiliter l’école républicaine aux yeux de l’opinion, à rassurer les familles modestes, pour qui l’école représente le seul espoir d’ascension sociale ?
On a raison de défendre le collège unique, attaqué par la bande, de prôner une éducation démocratique et moderne, qui améliore l’égalité des chances et cherche à corriger les handicaps de départ. Mais pour atteindre ces justes objectifs, la tranquillité scolaire est une condition cardinale. Voilà un motif de réflexion essentiel pour une gauche qui veut relever les défis d’aujourd’hui en regardant les choses en face.
 
Laurent Joffrin
 
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11 décembre 2023 1 11 /12 /décembre /2023 10:58
 
La droite a défiguré le projet initial du gouvernement par ses amendements xénophobes. Du coup la discussion a dégénéré en un pugilat aux connotations antirépublicaines.
Désastreuse valse-hésitation sur le projet de loi immigration. Le gouvernement avait un texte, mais il court après la droite pour obtenir une majorité à l’Assemblée, laquelle court après le Rassemblement national pour tenter de récupérer ses électeurs perdus. Du coup, le projet est sans cesse renégocié, remanié, marchandé pour tenter de résoudre cette quadrature du cercle anti-immigration, sous les quolibets goguenards des lepénistes.
Une certitude à ce stade : les amendements de la droite sont inacceptables pour tout humaniste. Refus de toute régularisation, remise en cause du droit du sol, restriction du regroupement familial, quasi suppression de l’Aide médicale pour les sans-papiers : la droite républicaine écorne la tradition républicaine dans l’espoir d’amadouer ceux qui n’aiment pas la République ; elle souscrit à l’air du temps qui impute aux étrangers l’essentiel des maux qui affligent les Français, dans un syndrome du bouc émissaire. La gauche a raison de mener sur ce point une bataille culturelle en rappelant que la grande majorité des immigrés ne veulent rien d’autre que trouver leur modeste place au soleil dans la société française, qu’ils forment une bonne partie de ces « travailleurs de première ligne » qu’on louait tant pendant la pandémie de Covid et que s’ils respectent les lois et vivent en bonne intelligence avec le pays d’accueil, ils sont ici chez eux.
Pour autant, cette gauche voit-elle juste en rejetant tout uniment le projet gouvernemental dans sa version initiale ? Pas sûr. Elle réclame la régularisation de tous les sans-papiers et rejette une régularisation partielle. Cette abolition de toute distinction entre ceux qui remplissent les critères d’admission et les autres est-elle raisonnable ? On en doute. En revanche la légalisation des mêmes travailleurs dans les « métiers en tension », telle que le proposait le gouvernement, est un pas dans la bonne direction. Rejeter le projet d’emblée, c’est aussi récuser cette amélioration.
Quant à réclamer une bonne maîtrise de la langue et des valeurs de démocratie française aux candidats au séjour, est-ce une si mauvaise idée ? C’est le défaut d’intégration des immigrés plus que leur nombre qui pose problème. N’est-ce pas les aider que de leur demander un effort initial ? De même, prévoir l’expulsion de ceux qui violent délibérément les lois ou qui représentent un danger pour la sécurité du pays, est-ce contraire à la logique républicaine ? On en doute tout autant.
Au fond, le débat est vicié par les postures politiques des uns et des autres. Il y manque un débat national rationnel, qui pourrait se développer au sein d’une convention citoyenne et déboucher sur un projet d’ensemble qui conjugue accueil, intégration et fermeté sur les critères d’admission. Est-ce un rêve ?
 
Laurent Joffrin
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