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9 janvier 2009 5 09 /01 /janvier /2009 12:39

Article lu sur RUE89



Sortir du capitalisme pour sauver la planète, c’est dans l’air des deux côtés de l’Atlantique. Mais là où les Américains prennent des précautions de sioux pour ne pas être accusés de communisme, les Français n’ont pas ces pudeurs: ils osent volontiers les mots "utopie", "coopérative" et autres "rapports de classe".

Deux auteurs, l’un français, l’autre états-unien, représentent ce courant qui a pris une ampleur inattendue avec l’emballement de la crise actuelle. Tous deux théorisent les fondations du nouveau monde nécessaire, qui ferait presque totalement table rase de l’actuel. Encore que l’Américain soit un peu moins radical, question de contexte historique sans doute.

Couverture de 'The Bridge at The Edge of the World'James Gustav Speth, doyen à l’université Yale de la School of Forestry and Environmental Studies, a publié en 2008 "The Bridge at The Edge of The World: capitalism, the environment, and crossing from crisis to sustainability". Traduction approximative: "Le Pont du bout du monde: le capitalisme, l’environnement, et le passage de la crise vers la durabilité."

Gus Speth y pose notamment la question suivante:

"Comment expliquer ce paradoxe? La communauté de ceux qui se soucient de l’environnement -à laquelle j’ai appartenu toute ma vie- ne cesse de grandir, de se sophistiquer et d’accroître son influence, elle lève des fonds considérables, et pourtant, les choses vont de pire en pire."

"Pour sauver la planète, il faut sortir du capitalisme"

Hervé Kempf, dont j’ai déjà évoqué l’ouvrage "Comment les riches détruisent la planète" (2007), publie cette semaine une suite à ce premier opus déjà traduit en quatre langues "Pour sauver la planète, sortez du capitalisme".

Kempf y reprend des éléments de sa démonstration initiale, et expose sa méthode, analogue à celle de son confrère américain, mais en tournant moins autour du pot:

"Pour sauver la planète, il faut sortir du capitalisme, en reconstruisant une société où l’économie n’est pas reine mais outil, où la coopération l’emporte sur la compétition, où le bien commun prévaut sur le profit."

Dit comme ça, c’est presque bateau, mais le livre de Kempf, court et facile à lire, est un concentré d’efficacité démonstrative. Il n’assomme pas le lecteur avec le détail de la catastrophe écologique mondiale en cours, celle-ci étant censée lui être déjà plus ou moins connue. Kempf rappelle les origines de la dérive qui nous a entraînés dans ce pétrin:

"Dans 'Comment les riches détruisent la planète', j’ai décrit la crise écologique et montré son articulation avec la situation sociale actuelle, marquée par une extrême inégalité. (…) J’ai résumé l’analyse du grand économiste Thorstein Veblen. Pour celui-ci, l’économie des sociétés humaines est dominée par un ressort, ‘la tendance à rivaliser -à se comparer à autrui pour le rabaisser’.

Le but essentiel de la richesse n’est pas de répondre à un besoin matériel, mais d’assurer une ‘distinction provocante’, autrement dit d’exhiber les signes d’un statut supérieur à celui de ses congénères. (…) Cela nourrit une consommation ostentatoire et un gaspillage généralisé."

A l'origine de la catastrophe écologique, des dérives individualistes

Dans ce nouveau livre, Kempf laisse un peu tomber les super riches -il leur a déjà réglé leur compte- pour nous enfoncer, nous, gens ordinaires souvent plein de bonne volonté, le nez dans notre caca. En gros, au cours de trente dernières années, le capitalisme a exacerbé l’idéologie individualiste au plus haut point, "en valorisant à l’extrême l’enrichissement et la réussite individuelle au détriment du bien commun".

Kempf déniche les dérives individualistes du capitalisme là où on n’aurait pas forcément pensé à les y voir, ni surtout à les lier aux dégâts écologiques: dans le délitement des liens familiaux, la pornographie, le trafic d’êtres humains, le remplacement du politique et de l’action collective par la psychologie à toutes les sauces…

"Car pour la personne à qui l’on répète sans arrêt que sa vie ne dépend que d’elle et que les liens sociaux sont d’importance secondaire, la satisfaction se trouve d’abord dans la satisfaction matérielle: elle est source de plaisir -un plaisir qu’on ne trouve plus dans l’interaction et le partage avec les autres."

Gus Speth est sur la même longueur d’onde qu’Hervé Kempf, mais il le dit à sa manière, politiquement correcte, soucieuse de ne pas froisser la sensibilité des gens qui s’impliquent avec cœur, dans son pays, pour faire évoluer les politiques publiques et leur propre vie.

Gus Speth balaie les conclusions naïves d'Al Gore

Il leur démontre gentiment que la technologie, la science, le progrès technique, dont les Etats-Unis sont si fiers d’être souvent leaders, ne suffiront pas à restaurer l’état de la planète, ni à assurer à l’humanité le train de vie dont les pays riches se prévalent.

En gros, il balaie l’assurance donnée par Al Gore à ses concitoyens dans son film "Une vérité qui dérange". L’ex-vice-président explique, dans qu’avec un peu de bonne volonté individuelle et beaucoup de technologies nouvelles, on peut inverser le cours de choses. Speth estime que cette approche est dépassée:

"La situation requiert des changements plus profonds et plus systémiques que l’approche environnementale en vigueur aujourd’hui. On doit complètement changer le système."

Couverture de 'Pour sauver la planète, sortez du capitalisme'Hervé Kempf ménage encore moins ses lecteurs. Pour lui, les fameuses technologies vertes dont on nous rebat les oreilles, nous promettant grâce à elles le retour de la croissance (verte, la croissance!), sont plus dangereuses qu’utiles à la bonne santé de la planète.

Non pas intrinsèquement (c’est toujours mieux de produire de l’électricité avec du vent qu’avec du charbon), mais parce que pour Areva, Suez, EDF, Endesa, E.ON, Enel, etc., il n’y a aucun changement de modèle énergétique en jeu, seulement une opportunité à saisir dans la compétition en cours entre grands producteurs. Le mot d’ordre reste: produire".

Les conseils écolos se situent toujours du point de vue de l'individu

Kempf massacre la "bien-pensance écologique, nichée dans les détails", qui a contaminé les plus fervents écolos:

"Tous les guides expliquant comment vivre en ‘vert’ se situent du point de vue de l’individu, jamais du collectif. (…) ‘Je me préserve des grosses chaleurs’, ‘je réutilise mes objets’, ‘je refuse les traitements chimiques’, ‘je démarre en douceur’, etc…

Etre consom’acteur, chez Nature et Découvertes, invite à ‘consommer engagé’, puisque ‘consommer = voter’, et range les actions entre ‘ma cuisine’, ‘ma trousse de toilette’, ‘mon garage’, ‘mon atelier’… EDF, dans son guide ‘E = moins de CO2’, range l’univers entre ‘ma planète’ et ‘ma maison’. (…)

Dans le paradis capitaliste, il suffit que nous fassions ‘les bons gestes pour la planète’, et ‘les politiques et les industriels suivront’."

Gloups. A quoi ça sert de faire des efforts si on est tellement ridicule? Kempf et Speth sont en accord sur ce point: seule l’action collective, massive, stratégiquement concertée, a des chances d’inverser la tendance.

"Je ne suis pas en train de vous dire: 'Arrêter de recycler'", écrit Gus Speth, "mais je dis: 'Bâtissez un mouvement collectif', et 'confrontez la consommation avec une nouvelle éthique d’autosuffisance'."

Un mouvement de fond en cours aux Etats-Unis

Kempf est encore plus offensif:

"Chacun, chaque groupe, pourrait dans son coin réaliser son bout d’utopie. Il se ferait sans doute plaisir, mais cela ne changerait pas grand-chose au système, puisque sa force découle du fait que les agents adoptent un comportement individualiste. (…)

L’enjeu n’est pas de lancer des alternatives. Il est de marginaliser le principe de maximisation du profit en plaçant la logique coopérative au cœur du système économique."

J’ai choisi d’insister davantage sur le livre d’Hervé Kempf pour trois raisons: il sort le 8 janvier en librairie; il contient de nombreux exemples français et européens plus parlants pour le lecteur que ceux pris dans le contexte culturel américain; enfin, il aborde de front la question des inégalités sociales, dans un langage plus brusque qui me convient mieux. C’est purement personnel.

En revanche, l’approche de Gus Speth est d’autant plus remarquable qu’elle accompagne un mouvement de fond en cours aux Etats-Unis. Quelque chose qui s’apparente aux expériences alternatives écolos de certaines communautés des années 70, sauf qu’aujourd’hui, leurs acteurs n’ont pas la prétention de vivre en marge du système. Ils vivent dedans, autrement, avec moins, volontairement beaucoup moins.

Je reviendrai bientôt sur ce sujet des "volontaires de la simplicité", qui commence à passionner la presse nationale. En attendant, on peut lire ce reportage paru dans le numéro de janvier de O, le magazine d’Oprah Winfray.

Pour sauver la planète, sortez du capitalisme d'Hervé Kempf - éd. du Seuil - 14€.
The Bridge at The Edge of the World de James Gustave Speth - Yale University Press - 320p., env. 28$.

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28 décembre 2008 7 28 /12 /décembre /2008 10:50
Ne pas s'inscrire sur ces sites de réseaux sociaux.» Tel était le conseil conclusif après le reportage diffusé par France 2, le 4 décembre 2008, dans l'émission Envoyé spécial ("Planète Facebook", 32", par Jérémie Drieu et Matthieu Birden). Quelques mois après l'achèvement de la campagne victorieuse de Barack Obama, qui avait su trouver dans la convivialité de Facebook le moyen de favoriser une relation plus souple et plus moderne à la mobilisation politique, la France de la loi Hadopi, parfaitement servie par la télévision publique, marquait encore une fois sa différence.

Aux Etats-Unis, où la série télévisée "Les Simpsons" peut parodier "Everyday", la vidéo culte de Noah Kalina, les pratiques numériques sont pleinement intégrées à la culture commune. Mais au pays de Nadine Morano, foin de digital literacy, on en est encore à la "fracture numérique". Autrement dit à l'ignorance et au rejet, qui continuent de structurer le rapport de l'intelligenstia ou des grands médias à la société de l'information.

Quel intellectuel français a pris des positions marquantes en faveur du web 2.0? Quel journal national a porté un regard éclairé sur les réseaux sociaux? Quel ouvrage nous a expliqué la nouvelle économie que nous préparent les grands moteurs de recherche? Je compte sur mes lecteurs pour combler mes lacunes, mais il faut bien admettre qu'à toutes ces questions, la réponse ne jaillit pas spontanément. Ce qui n'empêche nullement les pratiques numériques de prospérer. Les Français ont reconnu sans l'aide d'aucun plan gouvernemental tout l'intérêt de ces nouveaux outils, et sont désormais plus de 5 millions à utiliser Facebook. Le problème de la patrie d'Asterix n'est pas situé du côté des usages. Il est tout entier dans le déficit explicatif et le refus par les élites d'accorder une dimension culturelle aux TIC.

Premier reportage de la télévision publique consacré aux réseaux sociaux, "Planète Facebook" restera comme l'un des symptômes les plus achevés des incompréhensions de la société française. Trois questions au fondateur Mark Zuckerberg, un micro-trottoir, quelques témoins et un aller-retour à Palo Alto (Californie) faisaient un matériel un peu léger. On a donc rajouté dans la balance l'avis du spécialiste à tout faire Serge Tisseron, celui du commissaire gouvernemental aux blogs, le discret Vincent Ducrey, le tout entrecoupé d'images floutées, filées, décadrées, qui fleurent bon l'investigation en caméra plus ou moins cachée.

Qu'a appris le télespectateur? Que Facebook capte toutes vos donnés privées, y compris vos préférences sexuelles, et les partage avec ses 150 millions de membres. Qu'il sert à des gamines de 14 ans à s'exhiber et à trouver de la drogue. Qu'il fâche les couples et leur permet de s'espionner. Mais le meilleur est gardé pour la fin. Derrière Facebook, nous susurre-t-on, se dissimule en réalité un complot planétaire: une gigantesque collecte de données, susceptible d'être vendue à la CIA, voire livrée à un fabricant de robots-mixers. Si l'on doutait encore, une caméra filmant la couverture du livre d'Orwell en apporte la preuve: Facebook = Big Brother. CQFD.

Pas étonnant que les usagers de Facebook aient reçu un peu fraîchement cette avalanche de clichés. La vie sur le réseau est moins rocambolesque. Il serait fastidieux de redresser toutes les erreurs du reportage. Précisons seulement qu'il faut être âgé de plus de 18 ans pour y ouvrir un compte, et que loin de communiquer avec la Terre entière, un usager ne s'adresse qu'au groupe choisi de ses contacts. C'est ce qui fait tout le charme de Facebook: le côté machine à café ou cour de récréation, où l'on a plaisir à se rendre pour échanger une plaisanterie à la cantonade ou partager une vidéo sur YouTube.

Là est bien la nouveauté du site, que nul à France 2 n'a songé à expliquer – rendant parfaitement mystérieux l'engouement planétaire pour le réseau social. Loin de la morosité des JT, mieux que l'infotainment: l'attractivité de Facebook réside dans l'association d'un agrégateur de news (les lectures en ligne filtrées par le groupe des friends) et d'une convivialité ludique, manifestée par les jeux, les poke et autres commentaires, dans un climat de confiance amicale. Des infos + des jeux + de l'interaction: une équation magique qui fait pâlir d'envie n'importe quel vieux média.

Evidemment, comme au pique-nique du club sportif, chacun apporte son manger – ce qui explique les idiosyncrasies propres à chaque micro-communauté. Nul doute que, pour celui qui veut trouver pornographie, vente d'armes et autres pont-aux-ânes des magazines télé, Facebook possède dans ses recoins de quoi assouvir ces coupables penchants. Non moins que ceux des amateurs de coucous suisses, des collectionneurs de ronds de serviette, des adeptes de la récitation à l'envers de l'oeuvre de Teddie Wiesengrund-Adorno ou de toute autre curiosité socialement partageable (mais pas nécessairement aussi aguichante aux yeux d'un directeur des programmes).

Mais à quoi bon tenter de corriger la caricature? Il y a au moins trois bonnes raisons pour la télé de diaboliser les pratiques numériques. La première est bien sûr l'ignorance. Situés au point de rencontre de la culture jeune, des usages technophiles et de l'influence américaine (trois domaines dans lesquels la télévision française n'a pas fait la démonstration de son expertise), les réseaux sociaux sont précipités dans un véritable triangle des Bermudes de la compréhension.

A en juger par les spécialistes sollicités, les journalistes seront probablement surpris d'apprendre qu'il existe d'excellents chercheurs français qui travaillent sur ces terrains. Comme Dominique Pasquier, dont les travaux sur la «culture commune» des jeunes générations éclairent de subtiles nuances l'arrière-plan des pratiques numériques. Comme Laurence Allard, qui suit pas à pas les paradoxes de l'expression de soi par les outils en ligne. Comme Dominique Cardon, dont le jeu Sociogeek vient justement d'apporter des réponses précises sur le contrôle par les usagers des conditions de leur exposition. Comme Rémi Douine, qui scrute en direct-live les zigzags de l'économie de la viralité. Sans oublier les chercheurs du Lhivic – Jeanne Mercier, Gaby David, Fatima Aziz... – qui explorent la dimension visuelle de ces nouveaux comportements. On pourrait allonger sans peine cette liste d'un savoir déjà riche, si cela pouvait servir à quelque chose. Mais le goût du préjugé que manifeste le documentaire résulte d'un tout autre choix.

Car la deuxième raison tient à la logique interne des magazines de reportage, que la pression de la concurrence et la baisse des audiences conduisent à délaisser le schéma de l'explication pédagogique, jugé ringard et casse-pied. L'investigation télé préfère aujourd'hui jouer d'un registre plus trash: l'effroi. Longuement mis au point par l'émission "Le droit de savoir", produit par Charles Villeneuve et Gérard Carreyrou sur TF1, le docu-qui-fait-peur est le dernier format qui fait encore recette. Tant qu'il sera perçu comme une activité exotique, le web sera traité de la même façon que la prostitution, la vie des cités ou l'anorexie, à coup d'images tremblées, de visages floutés, sur une illustration musicale haletante.

Mais la principale raison de son animosité relève d'un facteur que la télé ne peut avouer. Chaque nouvelle étude le démontre: le web dans son ensemble et les réseaux sociaux en particulier comptent désormais parmi les concurrents les plus redoutables du divertissement télévisé. Il est évidemment assez comique de faire mine de découvrir la publicité ciblée et la présenter sous l'angle d'un complot planétaire, de la part d'un média qui vend son audience d'une façon bien moins efficace, mais guère différente dans son principe. Si la télévision publique verra demain réduire ses ressources publicitaires par décret, nul doute que ses services marketing partageraient avec enthousiasme les précieuses données de Facebook ou de Google.

«Ne pas s'inscrire sur ces sites de réseaux sociaux.» — Recommandation pour se protéger des risques d'une exposition indésirable? Ou exhortation pour tenter de préserver une audience déclinante? Dans tous les cas, la crédibilité de la télévision publique n'est plus suffisante pour qu'un avis de ce type ait la moindre efficacité sur les jeunes générations. Comme l'écrit Vincent Glad d'une formule définitive: «C’est en regardant ce genre de reportage qu’on se dit que la télévision dans sa version grand-messe familiale ressemble de plus en plus à la sidérurgie des années 1970, ou plutôt à l’automobile des années 2000. Diffuser un reportage sur Facebook en prime-time, c’est comme essayer de produire un 4X4 écolo, c’est perdu d’avance.»

Réf.
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19 décembre 2008 5 19 /12 /décembre /2008 18:41
Il y a un tragique quotidien qui est
bien plus réel, bien plus profond et
bien plus conforme à notre être véritable
que les tragiques des grandes
aventures. Il est facile de le sentir,
mais il n'est pas aisé de le montrer,
parce que ce tragique essentiel
n'est pas simplement matériel ou psychologique...


M.MAETERLINCK                                                                                 
Le tragique quotidien, le trésor des humbles, 1896            

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