Lassitude
Il est de ces longs jours d'indicible malaise
Où l'on voudrait dormir du lourd sommeil des morts ; De ces heures d'angoisse où l'existence pèse Sur l'âme et sur le corps :Alors on cherche en vain une douce pensée,
Une image riante, un souvenir fécond ; L'âme lutte un instant, puis retombe affaissée Sous son ennui profond.Alors tout ce qui charme et tout ce que l'on aime
Pour nos yeux dessillés n'a qu'un éclat trompeur ; Et le bonheur rêvé, s'il vient, ne peut pas même Vaincre notre torpeur.(Louise Colet)
Brume
Tu caches les choses lointaines,
toi brume impalpable et blafarde, fumée qui semble sourdre encore, vers l’aube, des éclairs nocturnes où croulent des amas de ciel !Toi cache les choses lointaines,
cache-moi tout ce qui est mort ! Que je voie seulement la haie d’entour, le murger dont les trous sont pleins de valérianes.Cache bien les choses lointaines :
les choses sont ivres de pleur ! Que je voie mes arbres fruitiers, les deux, qui donnent leur douceur de miel pour ma tranche de pain.Cache bien les choses lointaines
qui veulent que j’aime et que j’aille ! Que je ne voie là que ce blanc de route, qu’un jour je devrai prendre, au las tintement des cloches…Oui, cache les choses lointaines,
cache-les, vole-les au vol du cœur ! Que je voie le cyprès là, seul, rien que les entours, près d’ici où sommeille mon chien.La tristesse
L’âme triste est pareille
Au doux ciel de la nuit, Quand l’astre qui sommeille De la voûte vermeille A fait tomber le bruit ;Plus pure et plus sonore,
On y voit sur ses pas Mille étoiles éclore, Qu’à l’éclatante aurore On n’y soupçonnait pas !Des îles de lumière
Plus brillante qu’ici, Et des mondes derrière, Et des flots de poussière Qui sont mondes aussi !On entend dans l’espace
Les choeurs mystérieux Ou du ciel qui rend grâce, Ou de l’ange qui passe, Ou de l’homme pieux !Et pures étincelles
De nos âmes de feu, Les prières mortelles Sur leurs brûlantes ailes Nous soulèvent un peu !Tristesse qui m’inonde,
Coule donc de mes yeux, Coule comme cette onde Où la terre féconde Voit un présent des cieux !Et n’accuse point l’heure
Qui te ramène à Dieu ! Soit qu’il naisse ou qu’il meure, Il faut que l’homme pleure Ou l’exil, ou l’adieu !(Alphonse de Lamartine)
je nous sens amants, moi
seul et la mer bleu-noir cachant l'hiver, sa banquise arrachée, crêtes tourbillonnantes balayant les abîmes.(Patrick Williamson)
Et ces odeurs...
Et ces odeurs où la divinité habite,
Odeur de sombre mousse, odeur de scolopendre Près des ruisseaux vaseux, odeur autant qu'un mythe Transparente, dont l'âpreté nous vient surprendreEt violer! Bras noués, torse, cheveux rudes
Sur mes lèvres, chair folle à la mienne enlacée, Fauve évocation peuplant la solitude Pour une feuille d'or que le vent a froissée.Pourquoi ce baiser lourd et qui me martyrise
Reste-t-il à ma bouche embaumé et tenace Parce que dans la brume où la lande s'enlise Un peu d'herbe se fane? Ame sanglante et lasseAutant que la nature ensanglantée et lasse,
Ame avide, à travers ces parfums je devine Les soupirs du Désir, je le sens qui m'embrasse Comme un amant pressant son front sur ma poitrine.(Marie Dauguet)
Le soleil mollement surgit...
Le soleil mollement surgit et se dilate
Comme une énorme fleur qui lentement s'étale Et qui soudain parmi les prés mouillés éclate, Eparpillant au loin ses rougeâtres pétales.Le marais fume où l'eau mélancolique râle
Etendant sous les joues une moire écarlate, Et la confuse vase intensément exhale Dans le vent une odeur de baume et d'aromatePuissante et qui vous met des baisers sur les lèvres.
Le paysage est plein de langueur et de fièvre Ainsi que mon désir de troubles rêveries;Et le songe est si doux dont la langueur m'obsède,
Que je me sens dans la nuit, avec leur parfum tiède, S'effeuiller sur mon coeur des roses attendries.
(Marie Dauguet)