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24 octobre 2022 1 24 /10 /octobre /2022 06:57

 

par Cécile Simmons, Chercheuse à Institute for Strategic Dialogue (ISD).

publié le 24 octobre 2022 à 6h30
 

Canicule, sécheresse, feux de forêt : l’actualité récente a mis au premier plan les effets dévastateurs du dérèglement climatique. En parallèle, les communautés «antisystème» et la complosphère française ont vu l’émergence cet été de discours complotistes sur la canicule, portés par des figures telles que Silvano Trotta (160 000 inscrits à sa chaîne Telegram). Plus récemment, la hausse des prix de l’énergie et la crainte de coupures en hiver ont également alimenté dés- et més-information sur les énergies renouvelables sur les réseaux sociaux. Loin d’être des phénomènes isolés, ces discours reflètent un revirement des stratégies des acteurs climatosceptiques, du déni ouvert à l’adoption de rhétoriques visant à nous convaincre de retarder toute action politique.

Depuis plusieurs mois, l’Institut pour le dialogue stratégique (ISD) suit la trajectoire des discours climatosceptiques en ligne. Nous avons constaté qu’au déni du changement climatique (climate denial) se sont substitués dans de nombreux pays des discours plus pernicieux visant à retarder (climate delay) toute action publique, portés par l’industrie des énergies fossiles et des médias et idéologues ultra-conservateurs, et amplifiés sur les réseaux sociaux par une poignée d’influenceurs climatosceptiques.

 

Discours social de façade

Ces discours, qui se sont mobilisés de manière accrue depuis la COP26, s’articulent autour de quelques stratégies clés : les accusations d’hypocrisie et d’élitisme (les élites cherchent à imposer aux citoyens ordinaires des restrictions sans se les appliquer à eux-mêmes), le détournement de responsabilité (les autres Etats ne faisant prétendument pas assez, nous sommes absous de toute responsabilité) et la diffusion de dés- et més-information sur l’inefficacité des énergies renouvelables. Ce dernier argument a donné lieu à de nombreuses campagnes en ligne, notamment celle qui a suivi les pannes de courant au Texas en 2021, faussement attribuées aux éoliennes, et se traduit en France par la persistance de discours anti-éoliennes, alimentés en partie par la sphère pronucléaire.

La rhétorique de l’hypocrisie, qui présente l’action climatique comme élitiste et prétend défendre les intérêts des citoyens ordinaires, a construit son succès en adoptant un discours «social» de façade et en exploitant des griefs légitimes sur le rôle disproportionné des individus les plus fortunés dans le changement climatique. Les tenants de cette rhétorique s’attachent à décortiquer les modes de vie et les interventions des élites, élus progressistes et militants environnementaux, pour noyer le débat sur les enjeux climatiques, comme en témoigne le succès de contenus sur l’arrivée de dignitaires en jets privés (dont les aspects problématiques peuvent par ailleurs être débattus) aux conférences climatiques. Entre le 10 octobre et le 19 novembre, cette thématique a suscité près de 200 000 mentions sur Twitter et plus de 4 300 posts publics sur Facebook en langue anglaise, l’usage de mèmes et d’images contribuant à des phénomènes de viralité à plusieurs moments clés du sommet.

Les discours sur la prétendue mise en place de «confinements climatiques» re-déploient les rhétoriques «antisystème» à l’œuvre pendant la pandémie sur l’Etat «liberticide». Leurs auteurs se présentent comme les défenseurs des «citoyens ordinaires» face aux élites déconnectées pour défendre le statu quo climatique. Qu’ils montrent un intérêt limité pour le sort des citoyens les plus pauvres par ailleurs importe peu : leur force réside dans leur capacité à capter la colère sociale. La polarisation de mouvements populaires comme les gilets jaunes sur les questions écologiques permet aux tenants du ralentissement de trouver un écho dans ces groupes.

La crise énergétique et l’accroissement des inégalités sociales leur permet d’alimenter le mythe selon lequel l’écologie est affaire d’élites en faisant de la dégradation réelle des conditions de vie de nombreux citoyens un argument pour ralentir l’action climatique, en dépit de nombreuses études montrant que les plus démunis souffriront le plus de l’incapacité à limiter les émissions de CO2.

Une résonance accrue

Si les accusations d’élitisme envers le mouvement climatique ne sont pas nouvelles, les réseaux sociaux leur permettent d’avoir une résonance accrue. Les recherches de l’ISD ont montré que les acteurs climatosceptiques ont posté quatre fois plus de contenus sur la COP26 que les institutions scientifiques telles que le Giec et reçu plus de dix fois plus d’interactions, en jouant notamment sur le thème de «l’hypocrisie» présumée des élites et du mouvement climatique. Les algorithmes des plateformes, qui récompensent les contenus polarisants au détriment des publications informationnelles, amplifient ces arguments.

L’attitude des citoyens face au changement climatique constitue un élément clé dans la capacité des acteurs climatosceptiques à trouver une audience. Une récente étude de l’OCDE a retenu l’attention en suggérant que seuls 57% des Français croient que le changement climatique est beaucoup ou en totalité anthropocène (lié à l’activité humaine), le reste étant plus ou moins convaincu du poids des activités humaines sur le changement climatique (ce qui a conduit certains médias à affirmer de façon erronée que «43% des Français sont climatosceptiques»). Les nouveaux discours climatosceptiques s’engouffrent dans la brèche entre une prise de conscience accrue mais encore trop lente de la réalité scientifique, et l’appétit collectif pour l’action.

La situation présente néanmoins des opportunités. Une récente étude du think tank Destin commun a montré que six Français sur dix pensent que retarder la lutte contre le changement climatique aura des effets néfastes à long terme. La résistance aux discours du ralentissement ne peut cependant se faire sans la remise de la question de la justice sociale au cœur des débats sur la transition écologique, l’adoption d’une définition largement acceptée et institutionnelle (par les Nations unies, le Giec) de la «désinformation climatique» qui prenne en compte les nouvelles stratégies rhétoriques des climatosceptiques et une pression accrue sur les réseaux sociaux pour sanctionner les acteurs qui propagent ces discours.

 
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