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30 mai 2023 2 30 /05 /mai /2023 08:20

par Luc Le Vaillant

publié aujourd'hui à 0h44
 

Allez, je vais brasser large au risque de m’y noyer. Et affronter mes contradictions en espérant que mon artillerie dialectique me permettra de casser les briques des murailles qui m’isolent et parfois me tombent dessus.

Antimilitariste, je viens de voir flamber le budget des armées sous les applaudissements de va-t-en-guerre inconséquents qui n’enverraient pas leurs fils et encore moins leurs filles mourir pour Kyiv. Mais, réaliste, je dois bien constater que la guerre frappe à la porte de l’Europe et qu’il serait criminel de désarmer une souveraineté nationale déjà bien malmenée.

 

Non violent, je me réjouis que la civilisation gagne et que, sur le temps long, les sociétés se polissent et s’affadissent. Optimiste, je suis certain que cette tendance a de l’avenir et que les faits divers variés qui affolent l’opinion ne sont que des excitants à audience et des dopants à paniques politiques, qui passeront comme la rumeur.

Ce positivisme un peu neuneu m’oppose à Macron et compagnie qui brament à la «décivilisation» et au tout-fout-le-camp, déplorant la fin de la distinction et de la bonne éducation. Cela ne fait pas pour autant de moi un fantassin de la pasteurisation des pulsions et de l’euphémisation des désirs, restrictions pudibondes censées faciliter la survenue de l’amour universel et de la paix perpétuelle. Lesquels ne vont pas s’imposer sans frottement, friction ou froissement des sensibilités humaines, moins fragiles que des ailes de papillons.

A l’inverse des apeurés d’hier et des adoucisseurs de demain, des tradis mélancoliques comme des wokes nombrilistes, je pense deux choses contradictoires. 1) Il faut accepter un minimum d’agressivité et d’impulsivité dans les mœurs quotidiennes, histoire de réaliser que l’univers n’est pas gluant de bienveillance. 2) Il faut réfléchir avant de prendre part à la querelle guerrière venue de Russie qui nous entraîne vers la fin dernière d’un continent préservé. Car dans cette Europe riche et apaisée, souvent les aveuglés de la prospérité s’affolent des risques mineurs et se contrefoutent des drames majeurs. La proximité hystérise quand l’éloignement rassérène. L’une et l’autre déclenchant des émotions médiatiques qui font office de solidarité minimale et de purge sentimentale.

Il y a en France, à droite comme à gauche, la nostalgie d’un Etat omnipotent, autoritaire et paternel, sous l’aile duquel se réfugier ou dans les plumes de qui voler. Sauf que c’est fini ! Les individualités reines si fières de leur libre arbitre ne supportent plus cette tutelle galonnée. Aux normes édictées, aux ordres dispensés, elles préfèrent les influences séductrices et les algorithmes complaisants qui standardisent et moralisent tout autant leurs comportements. Ce qui fait que l’Etat central est bien embêté quand il lui faut exercer le monopole de la violence légitime.

Dans l’Hexagone, le Léviathan tant célébré est une baleine échouée sur un récif corallien d’exigences privées si ce n’est un éléphant grisonnant se hâtant lentement vers le cimetière où repose l’intérêt général. En démocratie avancée, le durcissement de l’arsenal législatif ne sert à rien. La meilleure façon de faire serait, paradoxalement, de supprimer quelques lois criminogènes. Légaliser les drogues, organiser la prostitution, développer les peines de substitution permettrait d’alléger la charge policière et de désengorger les tribunaux. J’admets volontiers que cela ne résoudrait pas tout. Il y a un taux incompressible de folies meurtrières et de calamités accidentelles.

Caïn en voudra toujours à Abel, et Thanatos à Eros. Et c’est pourquoi il serait bon de ne pas éradiquer toute expérience de l’affrontement et du dissensus au sein des écoles et des entreprises, entre les hommes et les femmes, dans les familles et les couples, dans l’expression culturelle et la création artistique, sans parler de l’Assemblée nationale et du bistrot du coin. Je sais que mon propos emprunte à contresens l’autoroute des évidences, mais il serait nocif de vouloir trop réglementer et trop sanctionner. Il faut avoir expérimenté les cahots et les heurts pour ne pas tomber de la Lune quand le chaos majeur surgit et que le malheur général frappe.

Cet apprentissage de la conflictualité à basse intensité et en mode mineur est nécessaire pour pouvoir regarder en face les désastres qui menacent. Notre pays privilégié a pu se dispenser de se confronter au tragique de l’histoire pendant près d’un siècle. Devant les convulsions géopolitiques du moment, il lui faut retrouver des réflexes anciens et faire jouer des muscles oubliés. En Ukraine comme au Proche-Orient, la manière d’agir des décideurs gagnera en discernement si les populations qui les mandatent savent ce qu’il en est de la violence, de sa nécessité régulée comme de ses excès jamais exténués. Ici et là-bas, au jour le jour comme sur les champs de bataille, et même si l’on est non violent et antimilitariste…

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