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28 décembre 2008 7 28 /12 /décembre /2008 10:50
Ne pas s'inscrire sur ces sites de réseaux sociaux.» Tel était le conseil conclusif après le reportage diffusé par France 2, le 4 décembre 2008, dans l'émission Envoyé spécial ("Planète Facebook", 32", par Jérémie Drieu et Matthieu Birden). Quelques mois après l'achèvement de la campagne victorieuse de Barack Obama, qui avait su trouver dans la convivialité de Facebook le moyen de favoriser une relation plus souple et plus moderne à la mobilisation politique, la France de la loi Hadopi, parfaitement servie par la télévision publique, marquait encore une fois sa différence.

Aux Etats-Unis, où la série télévisée "Les Simpsons" peut parodier "Everyday", la vidéo culte de Noah Kalina, les pratiques numériques sont pleinement intégrées à la culture commune. Mais au pays de Nadine Morano, foin de digital literacy, on en est encore à la "fracture numérique". Autrement dit à l'ignorance et au rejet, qui continuent de structurer le rapport de l'intelligenstia ou des grands médias à la société de l'information.

Quel intellectuel français a pris des positions marquantes en faveur du web 2.0? Quel journal national a porté un regard éclairé sur les réseaux sociaux? Quel ouvrage nous a expliqué la nouvelle économie que nous préparent les grands moteurs de recherche? Je compte sur mes lecteurs pour combler mes lacunes, mais il faut bien admettre qu'à toutes ces questions, la réponse ne jaillit pas spontanément. Ce qui n'empêche nullement les pratiques numériques de prospérer. Les Français ont reconnu sans l'aide d'aucun plan gouvernemental tout l'intérêt de ces nouveaux outils, et sont désormais plus de 5 millions à utiliser Facebook. Le problème de la patrie d'Asterix n'est pas situé du côté des usages. Il est tout entier dans le déficit explicatif et le refus par les élites d'accorder une dimension culturelle aux TIC.

Premier reportage de la télévision publique consacré aux réseaux sociaux, "Planète Facebook" restera comme l'un des symptômes les plus achevés des incompréhensions de la société française. Trois questions au fondateur Mark Zuckerberg, un micro-trottoir, quelques témoins et un aller-retour à Palo Alto (Californie) faisaient un matériel un peu léger. On a donc rajouté dans la balance l'avis du spécialiste à tout faire Serge Tisseron, celui du commissaire gouvernemental aux blogs, le discret Vincent Ducrey, le tout entrecoupé d'images floutées, filées, décadrées, qui fleurent bon l'investigation en caméra plus ou moins cachée.

Qu'a appris le télespectateur? Que Facebook capte toutes vos donnés privées, y compris vos préférences sexuelles, et les partage avec ses 150 millions de membres. Qu'il sert à des gamines de 14 ans à s'exhiber et à trouver de la drogue. Qu'il fâche les couples et leur permet de s'espionner. Mais le meilleur est gardé pour la fin. Derrière Facebook, nous susurre-t-on, se dissimule en réalité un complot planétaire: une gigantesque collecte de données, susceptible d'être vendue à la CIA, voire livrée à un fabricant de robots-mixers. Si l'on doutait encore, une caméra filmant la couverture du livre d'Orwell en apporte la preuve: Facebook = Big Brother. CQFD.

Pas étonnant que les usagers de Facebook aient reçu un peu fraîchement cette avalanche de clichés. La vie sur le réseau est moins rocambolesque. Il serait fastidieux de redresser toutes les erreurs du reportage. Précisons seulement qu'il faut être âgé de plus de 18 ans pour y ouvrir un compte, et que loin de communiquer avec la Terre entière, un usager ne s'adresse qu'au groupe choisi de ses contacts. C'est ce qui fait tout le charme de Facebook: le côté machine à café ou cour de récréation, où l'on a plaisir à se rendre pour échanger une plaisanterie à la cantonade ou partager une vidéo sur YouTube.

Là est bien la nouveauté du site, que nul à France 2 n'a songé à expliquer – rendant parfaitement mystérieux l'engouement planétaire pour le réseau social. Loin de la morosité des JT, mieux que l'infotainment: l'attractivité de Facebook réside dans l'association d'un agrégateur de news (les lectures en ligne filtrées par le groupe des friends) et d'une convivialité ludique, manifestée par les jeux, les poke et autres commentaires, dans un climat de confiance amicale. Des infos + des jeux + de l'interaction: une équation magique qui fait pâlir d'envie n'importe quel vieux média.

Evidemment, comme au pique-nique du club sportif, chacun apporte son manger – ce qui explique les idiosyncrasies propres à chaque micro-communauté. Nul doute que, pour celui qui veut trouver pornographie, vente d'armes et autres pont-aux-ânes des magazines télé, Facebook possède dans ses recoins de quoi assouvir ces coupables penchants. Non moins que ceux des amateurs de coucous suisses, des collectionneurs de ronds de serviette, des adeptes de la récitation à l'envers de l'oeuvre de Teddie Wiesengrund-Adorno ou de toute autre curiosité socialement partageable (mais pas nécessairement aussi aguichante aux yeux d'un directeur des programmes).

Mais à quoi bon tenter de corriger la caricature? Il y a au moins trois bonnes raisons pour la télé de diaboliser les pratiques numériques. La première est bien sûr l'ignorance. Situés au point de rencontre de la culture jeune, des usages technophiles et de l'influence américaine (trois domaines dans lesquels la télévision française n'a pas fait la démonstration de son expertise), les réseaux sociaux sont précipités dans un véritable triangle des Bermudes de la compréhension.

A en juger par les spécialistes sollicités, les journalistes seront probablement surpris d'apprendre qu'il existe d'excellents chercheurs français qui travaillent sur ces terrains. Comme Dominique Pasquier, dont les travaux sur la «culture commune» des jeunes générations éclairent de subtiles nuances l'arrière-plan des pratiques numériques. Comme Laurence Allard, qui suit pas à pas les paradoxes de l'expression de soi par les outils en ligne. Comme Dominique Cardon, dont le jeu Sociogeek vient justement d'apporter des réponses précises sur le contrôle par les usagers des conditions de leur exposition. Comme Rémi Douine, qui scrute en direct-live les zigzags de l'économie de la viralité. Sans oublier les chercheurs du Lhivic – Jeanne Mercier, Gaby David, Fatima Aziz... – qui explorent la dimension visuelle de ces nouveaux comportements. On pourrait allonger sans peine cette liste d'un savoir déjà riche, si cela pouvait servir à quelque chose. Mais le goût du préjugé que manifeste le documentaire résulte d'un tout autre choix.

Car la deuxième raison tient à la logique interne des magazines de reportage, que la pression de la concurrence et la baisse des audiences conduisent à délaisser le schéma de l'explication pédagogique, jugé ringard et casse-pied. L'investigation télé préfère aujourd'hui jouer d'un registre plus trash: l'effroi. Longuement mis au point par l'émission "Le droit de savoir", produit par Charles Villeneuve et Gérard Carreyrou sur TF1, le docu-qui-fait-peur est le dernier format qui fait encore recette. Tant qu'il sera perçu comme une activité exotique, le web sera traité de la même façon que la prostitution, la vie des cités ou l'anorexie, à coup d'images tremblées, de visages floutés, sur une illustration musicale haletante.

Mais la principale raison de son animosité relève d'un facteur que la télé ne peut avouer. Chaque nouvelle étude le démontre: le web dans son ensemble et les réseaux sociaux en particulier comptent désormais parmi les concurrents les plus redoutables du divertissement télévisé. Il est évidemment assez comique de faire mine de découvrir la publicité ciblée et la présenter sous l'angle d'un complot planétaire, de la part d'un média qui vend son audience d'une façon bien moins efficace, mais guère différente dans son principe. Si la télévision publique verra demain réduire ses ressources publicitaires par décret, nul doute que ses services marketing partageraient avec enthousiasme les précieuses données de Facebook ou de Google.

«Ne pas s'inscrire sur ces sites de réseaux sociaux.» — Recommandation pour se protéger des risques d'une exposition indésirable? Ou exhortation pour tenter de préserver une audience déclinante? Dans tous les cas, la crédibilité de la télévision publique n'est plus suffisante pour qu'un avis de ce type ait la moindre efficacité sur les jeunes générations. Comme l'écrit Vincent Glad d'une formule définitive: «C’est en regardant ce genre de reportage qu’on se dit que la télévision dans sa version grand-messe familiale ressemble de plus en plus à la sidérurgie des années 1970, ou plutôt à l’automobile des années 2000. Diffuser un reportage sur Facebook en prime-time, c’est comme essayer de produire un 4X4 écolo, c’est perdu d’avance.»

Réf.
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19 décembre 2008 5 19 /12 /décembre /2008 18:41
Il y a un tragique quotidien qui est
bien plus réel, bien plus profond et
bien plus conforme à notre être véritable
que les tragiques des grandes
aventures. Il est facile de le sentir,
mais il n'est pas aisé de le montrer,
parce que ce tragique essentiel
n'est pas simplement matériel ou psychologique...


M.MAETERLINCK                                                                                 
Le tragique quotidien, le trésor des humbles, 1896            

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