La petite musique des «Jeux» olympiques est désormais partout présente, dans la communication gouvernementale, dans les médias, et même dans les écoles. Curieuse expression, quand on y pense : qu’y a-t-il de bien ludique dans ces drôles de «jeux»-là ?
Les futurs JO de Paris s’annoncent comme un mégaévénement totalement anachronique : quel sens peut-il y avoir à concentrer autant de participants et de spectateurs dans un espace urbain déjà congestionné ? A multiplier les infrastructures au prix d’émissions accrues de gaz à effet de serre ? A faire converger les avions comme jamais vers le ciel de l’Ile-de-France ? On se croirait au XXe siècle, celui des masses, des infrastructures gigantesques, de la gabegie énergétique, mais élevé à la puissance du XXIe – avec une population plus abondante et une mobilité plus grande encore.
Les records qui seront battus sont avant tout logistiques et policiers, avec une mobilisation que l’on annonce sans précédent de forces de l’ordre, dotées de moyens de surveillance et de répression inédits. Par une loi de mars 2023, le gouvernement autorise expérimentations et dérogations au droit commun pour surveiller et punir : drones et caméras, observation et interpellations, pouvoirs aggravés pour la police… La compétition est sécuritaire avant tout, et permet de tester à grande échelle des procédés et procédures qui, comme souvent, resteront dans le droit commun, par un effet de cliquet qui veut que l’exceptionnel devient rapidement normal, et que le pire devient l’ordinaire. Anachroniques d’un point de vue écologique, les JO dessinent les dystopies de demain, celles de la surveillance généralisée et de la consommation sans entraves, car le même projet de loi prévoit l’ouverture généralisée des magasins le dimanche.
Du développement personnel au survivalisme
Evidemment, la communication gouvernementale met tout autre chose en avant : jusque dans les écoles de nos enfants, enrégimentées pour l’occasion d’une manière surprenante (logos apposés sur les portails des établissements, courriels envoyés aux parents pour signaler telle ou telle compétition…), on vante l’exercice physique (pourquoi pas ?) pour des motifs de santé publique, mais on va au-delà, en prêchant le culte du champion et la dilection pour les records. L’individu est invité à admirer pour désirer, et à désirer pour se surpasser lui aussi, en devenant le sculpteur de son corps et de ses exploits. La propagande autour des JO trouve ainsi sa place dans un vaste arc allant du développement personnel au survivalisme, en passant par les stages de revirilisation, l’exaltation du muscle et la parade des influenceurs.
Le message fondamental est : le monde est une arène darwinienne où concurrence et compétition signent la réalité d’une lutte permanente pour la vie, il faut s’y préparer en adorant ceux qui incarnent le mieux cette conception guerrière de l’existence. Est-ce bien pertinent, à l’heure où s’imposeraient plutôt coopération et symbiose, entraide et solidarité face à ce qui a déjà commencé (la destruction du vivant et la réduction de l’habitabilité de la Terre), dilatation à une échelle inédite d’une destructivité si attestée dans l’histoire humaine, et d’une finitude (déchéance et mort) qui, de plus en plus, se révèle être notre seul horizon ?
Cet emballement social darwinien nous invite à relire le moment 1936, celui des JO de Berlin : anomalie, anecdote ou expression de l’essence de Jeux décidément bien sérieux ? A la fin du XIXe siècle, la création des Jeux modernes répond à une préoccupation bien résumée par Pierre de Coubertin : «bronzer la race», faire de la race blanche un monstre de performances sportives et guerrières pour mieux porter le projet de conquête et de domination de la nature et du monde, par la colonisation et l’exploitation sans réserve de toutes les ressources disponibles, y compris les fameuses «ressources humaines».
Les nazis s’y étaient reconnus comme personne, et il n’est pas étonnant qu’ils soient les réels inventeurs des JO tels que nous les connaissons, avec course de relais de la flamme olympique, classement des nations au décompte des médailles et médiatisation sans frein – Pierre de Coubertin, invité et choyé par le IIIe Reich, ne s’y trompa pas, en y reconnaissant l’olympiade idéale. Seule différence : ce non-sens n’est désormais plus réservé à la seule «race blanche». Tous les individus du monde sont invités à devenir des machines à gagner, à s’imposer et à dominer, pour leur plus grande gloire personnelle, ou celle de leur club, ou celle de leur nation.